Le Verre Volé ne se contente pas d’être une adresse. C’est un manifeste. Celui d’un Paris encore affranchi des codes aseptisés, où le vin nature côtoie une cuisine brute, précise, viscéralement sincère. Situé rue de Lancry, à deux pas du canal Saint-Martin, ce bistrot-cave à manger revendique depuis plus de vingt ans une philosophie culinaire sans fard, portée par une équipe qui ne cherche ni à séduire ni à s’excuser. Et c’est précisément pour cela qu’on y revient.
Un lieu à contre-courant fidèle à sa vision
Derrière la façade anodine de Le Verre Volé, c’est tout un pan de la gastronomie indépendante parisienne qui s’écrit. Loin des néo-bistrots calibrés pour Instagram, ici règne un désordre esthétique maîtrisé : mobilier en formica dépareillé, cuisine ouverte sur la salle, ardoise du jour griffonnée à la craie. Cette nonchalance assumée masque en réalité une rigueur absolue sur le fond : les produits sont triés sur le volet, les assiettes se font écho d’un artisanat respectueux et d’une saisonnalité jamais galvaudée.
Le premier choc, c’est la cave. Plus qu’une carte, une déclaration d’intention. Pas de place ici pour les appellations ronflantes sans âme : on croise plutôt des vins d’auteur, souvent biodynamiques ou sans soufre ajouté, signés par des vignerons exigeants comme Yvon Métras, Olivier Pichon ou Julien Guillot. L’équipe, formée et passionnée, guide sans jamais imposer. Et si l’on souhaite emporter, les flacons sont disponibles à la vente, avec ou sans passage à table. Le droit de bouchon ? 7 euros. Autant dire symbolique pour une telle sélection.
Une cuisine canaille, taillée pour le produit
Le Verre Volé n’a pas de menu fixe. L’ardoise change tous les jours, au gré des arrivages et des inspirations. Ce qui ne change pas, c’est l’exigence. On y trouve des plats rustiques relevés par des idées modernes : ceviche de merlu ultrafrais, ventrèche de thon ikejime au jus de cresson et framboises, rouge barbet entier, panisses au chorizo, mousse au chocolat aux noisettes du Piémont. Chaque assiette assume sa singularité, avec une simplicité d’exécution qui révèle la vérité du produit. Les portions sont franches, les cuissons justes, les assaisonnements sans concession.
Ce souci du détail se traduit par un sourcing méticuleux. Viandes de petits éleveurs (veau de lait normand, porc de Mayrinhac), poissons de ligne (La Cotinière, Saint-Jean-de-Luz), légumes de saison… Rien n’est laissé au hasard. Cette transparence fait partie de l’ADN du lieu : ici, on respecte le travail des producteurs autant que celui des cuisiniers.
Un service brut, parfois clivant
Il faut le dire sans détour : Le Verre Volé n’est pas pour tout le monde. Le service peut paraître abrupt, surtout aux heures d’affluence. L’espace est restreint, les réservations rares, et l’ambiance bruyante. C’est le revers d’un lieu resté fidèle à son esprit initial, loin de toute standardisation. Mais c’est aussi ce qui fait sa singularité. Pour ceux qui savent ce qu’ils viennent y chercher – de l’authenticité, de l’audace, de l’intransigeance – l’expérience reste inoubliable.
Un modèle devenu une référence
Depuis son ouverture, Le Verre Volé a essaimé. De nombreux restaurants parisiens s’en réclament, mais peu atteignent ce niveau de cohérence entre la cave et l’assiette. Cette adresse est souvent imitée, rarement égalée. En 2001 déjà, elle était consacrée « Meilleure cave à manger » par les guides spécialisés. En 2025, elle reste, contre vents et modes, un repère pour les amateurs de vins vivants et de cuisine vivante.
Infos pratiques
Adresse : 67 Rue de Lancry, 75010 Paris
Accès : Métros Jacques Bonsergent ou Gare de l’Est
Horaires : Tous les jours de 12h30 à 14h et de 19h à 22h30
Prix : Entrée 7,50 €, plat du jour 18 €, carte entre 45 et 50 €
Site web : www.leverrevole.fr
Un lieu à fréquenter en conscience
Ceux qui s’attendent à une hospitalité policée seront déconcertés. Le Verre Volé ne fait pas dans la séduction, il fait dans la sincérité. Ce qui explique l’extrême polarisation des avis : certains hurlent à la hype prétentieuse, d’autres louent une des dernières bastions de l’esprit bistrotier libre. Une chose est sûre : ici, tout est vrai. Le vin, la cuisine, les prix, et même les défauts. Et dans un Paris qui aseptise de plus en plus ses plaisirs, c’est une qualité rare.
Le Verre Volé, c’est une prise de position. Si vous adhérez, vous reviendrez. Sinon, passez votre chemin – il y a assez de tables formatées ailleurs pour vous accueillir.




